LA BELGIQUE CONFIRME LA PROLONGATION DE DEUX RÉACTEURS NUCLÉAIRES
Le 31 janvier 2003 était promulguée en Belgique la « Loi sur la sortie progressive de l'énergie nucléaire à des fins de production industrielle d'électricité ».
Elle interdisait toute nouvelle installation de centrale nucléaire et prévoyait l’arrêt des réacteurs existants « quarante ans après la date de leur mise en service industrielle », soit de 2015 (Doel 1) à 2025 (Tihange 3). Cette sortie du nucléaire, à l’image de l’Energie-Wende allemand dont elle s’inspirait, n’avait cependant pas fait l’objet d’une analyse technique de ses aspects technologiques, scientifiques, industriels et géopolitiques.
Les raisons alors avancées étaient à trouver dans l’actualité : vingt ans après Tchernobyl, le Parlement ordonnait législativement la sortie du nucléaire civil en vertu de lois et d’arrêtés relatifs à la protection des populations contre les rayonnements ionisants (1). Cette décision de sortie du nucléaire résultait en fait beaucoup plus d’un parti-pris idéologique que d’une analyse approfondie de tous les facteurs à prendre en compte. C’était donc pour l’énergie nucléaire belge une fin de vie législative et administrative, pas une décision prise sur des bases scientifiques.
Sur l’année 2022, le nucléaire représentait encore 47,3% de la production d’électricité en Belgique. En septembre 2022 et janvier 2023, malgré le contexte géopolitique et le chaos qui prévalait sur le marché de l’électricité, la Belgique fermait cependant comme prévu deux réacteurs
Le gouvernement outre-Quiévrain annonçait début 2023 la prolongation pour dix ans de deux réacteurs dont l’arrêt était jusque-là prévu en 2025.
Nouveau revirement quelques mois plus tard : le gouvernement outre-Quiévrain annonçait en 2023 la prolongation pour dix ans de deux réacteurs dont l’arrêt était jusque-là prévu en 2025. En décembre, l’accord était signé avec Engie, l’exploitant de ces réacteurs. Enfin, en ce mois de mai 2024, cet accord était validé par la Chambre des Représentants. On peut déplorer que l’entreprise ait été obligée d’exercer une pression conséquente pour obtenir cette visibilité sur le devenir de ses actifs : les centrales à gaz commandées pour remplacer le nucléaire étant en retard, elle courait après un gouvernement qui repoussait la décision.
En effet, étonnement, la prolongation d’une centrale nucléaire n’est pas quelque chose qui se décide sur un coin de table. Vient ensuite le coût de la prolongation : Engie, qui devait jusqu’alors démanteler tous les réacteurs et avait pour cela budgété 8,4 milliards d’euros, a demandé à l’État belge 500 à 600 millions d’euros pour bouleversement des activités.
Malheureusement, l’annonce ne signifie pas qu’il existe une stratégie belge de long-terme
Malheureusement, l’annonce ne signifie pas qu’il existe une stratégie belge de long-terme : la Belgique allonge la durée de vie de deux réacteurs, mais n’annonce aucune construction de nouvelle centrale ni aucun plan de relance. S’il est vrai que les Belges font de belles avancées dans l’éolien et le solaire (19,8% du mix en 2022, 28,2% en 2023), leur géographie contraint leurs choix ; aussi lesdits réacteurs devaient-ils être remplacés par du renouvelable… et de nouvelles centrales à gaz. Avec à la clé les problèmes de dépendance et de posture géostratégique.
Il y a trois bonnes nouvelles dans cette annonce. La première est économique : le parc nucléaire belge est exploité par Engie, c’est ce même opérateur qui doit assurer ladite prolongation. Le calendrier aura beau être chargé, un tel travail aura son lot de commandes fermes, qui impliqueront la filière française.
Il s’agit néanmoins d’une victoire politique.
Ensuite, il s’agit néanmoins d’une victoire politique : la France, championne du nucléaire en Europe, bataille depuis longtemps et souvent seule sur plusieurs fronts : taxonomie à Bruxelles, aides d’état et financement – notamment au Royaume-Uni sur Hinkley Point –, inclusion du nucléaire dans le marché de capacité… La participation en tant qu’observateur de la Belgique à l’Alliance pour le Nucléaire, initiée par la France et réunissant les pays européens comptant sur cette énergie, est une traduction concrète de ce succès. À voir si les actes suivent.
Toujours est-il qu’on peut désormais lire dans le journal « La Libre Belgique » : « une majorité de partis se disent désormais non seulement en faveur du maintien de la filière, mais réclament en outre la construction de nouvelles centrales. Interrogés dans le cadre du test électoral, [huit partis] estiment même que le prochain gouvernement fédéral doit prendre la décision sans traîner car la construction d’une nouvelle centrale prendra du temps. »
Et une bonne nouvelle pour l’environnement et l’empreinte carbone.
Le nucléaire est la seule source d’électricité qui soit à la fois décarbonée, pilotable et déployable à échelle industrielle. Il émet, en moyenne, 12 gCO2/kWh, soit exactement autant que l’éolien en mer et terrestre (2). Le modèle de centrale REP (réacteur à eau pressurisée) utilisé en Occident émet, en moyenne, 12 gCO2/kWh, soit exactement autant que l’éolien en mer et terrestre. (2) La prolongation de la durée de vie de ces deux réacteurs permettra à la Belgique de ne pas dégrader plus encore son l’empreinte carbone de son électricité, elle qui ne se situe qu’au 14e rang européen avec 1.117 kgCO2/habitant (hors importation, source Eurostat), niveau incompatible avec les objectifs de Net Zéro. La France, elle, n’émet « que » 395 kgCO2/habitant en 2022 grâce à son hydraulique et surtout son nucléaire, et c’est ainsi l’électricité la plus verte d’Europe après le Luxembourg (hors importation, une nouvelle fois).
Pierre Ménard
Commission Environnement-Agriculture
(1) « en vertu de la loi du 29 mars 1958 relative à la protection de la population contre les dangers résultants des radiations ionisantes (…) article 5 de l'arrêté royal du 28 février 1963 portant Règlement général de la protection de la population et des travailleurs contre le danger des radiations ionisantes (…) article 16 de la loi du 15 avril 1994 (…) articles 5 et 6 de l'arrêté royal du 20 juillet 2001 portant règlement général de la protection de la population, des travailleurs et de l'environnement contre le danger des rayonnements ionisants. »
(2) GIEC, Rapport Annuel 5 (2014), Working Group II, Annexe, p.1335
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