Quel futur pour la sûreté nucléaire ?
L’approche française de la sureté nucléaire s’articule, ou plutôt s’articulait autour de deux entités. L’une, l’Autorité de Sureté Nucléaire (ASN) ayant pouvoir de décision, fortement marquée de l’empreinte des corps de l’État. L’autre, l’Institut de Radioprotection et de Sureté Nucléaire (IRSN) ayant mandat d’expertise, fortement marquée de l’empreinte de la recherche et issue du CEA. La loi de fusion de ces deux entités a été promulguée le 21 mai dernier.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les réactions sont mitigées. Si ce projet a été mené à terme après quelques heurts et a été approuvé par l’Assemblée Nationale, le Sénat et validé par le conseil constitutionnel, la presse comme les spécialistes se sont fait l’écho de dissensions et de mécontentements, allant jusqu’à parler de destruction ou de dégradation de la sureté nucléaire en France.
Toutefois, avant de rentrer dans les implications et conséquences de cette décision, on peut s’interroger sur son timing et sa nécessité.
En effet, outre les éléments de langage un peu creux apportés par le gouvernement qui parle (un peu seul) d’entité « plus puissante, plus transparente, plus fluide et plus indépendante », les éléments concrets à l’appui de cette décision aujourd’hui sont bien légers.
En revanche, si l’on considère l’invasion de l’Ukraine, et les conséquences qu’elle a eu sur les marchés de l’énergie et des hydrocarbures, la hausse des prix de l’électricité, les phénomènes de corrosion sous contrainte ayant conduit à mettre à l’arrêt de nombreux réacteurs, le feuilleton à rebondissements de la construction du réacteur de Flamanville-3, les raisons de mettre l’énergie à l’agenda politique du pays sont bien plus substantielles.
Se pose donc une question simple, mais néanmoins essentielle : Que faire ?
Les problématiques sous-jacentes de cette tension sont très largement internationales, leurs causes multiples et complexes, leurs parties prenantes nombreuses. Donc les moyens d’actions essentiellement limités. Mais il serait naturellement impossible et inaudible pour le gouvernement de ne rien faire.
Un rapide tour de table nous conduit rapidement à conclure à une cacophonie prévisible autour du dossier par le gouvernement. Outre Roland Lescure, qui vient de succéder à Agnès Pannier-Runacher à l’énergie, Bruno Le Maire, de par une stature largement fantasmée de patron de l’économie française, se rêve en faiseur de rois du dossier. Quant à Emmanuel Macron son attrait pour les postures régaliennes le conduit à ajouter sa voix au tumulte de l’armée de colonels actuellement sur le dossier.
De l’autre côté, EDF, entre réorganisation interne, renationalisation, changement de direction et décision de construire 6 EPR, n’est pas vraiment en état d’agir fortement, c’est d’ailleurs l’une des raisons tant du départ en claquant la porte de son ancien dirigeant Jean-Bernard Lévy que de la difficulté à recruter son successeur Luc Rémont.
D’où la complexité de l’équation posée. Faire quelque chose, mais pas quelque chose de trop engageant, car on ne sait pas où aller, pas quelque chose de creux, car cela se verrait, pas quelque chose de cher car les caisses sont vides, pas quelque chose de trop nucléaire, pour ne pas raviver le clivage, pas quelque chose de trop peu nucléaire, car il faut apparaitre régalien.
Malheureusement pour les concernés, la fusion ASN-IRSN cochait nombre de cases. Il ne s’agit pas d’un projet, cela ne « coute » rien, c’est régalien car on y parle de sureté nucléaire, mais pas trop industriel. Cela permet en outre de valoriser le modèle américain, qui n’avait rien demandé et qui semble pourtant bien peu pertinent en la matière, mais aussi d’appuyer le message du gouvernement aux startups de l’écosystème nucléaire sur la simplification quand bien même cela n’accélérerait rien – ce qui a de fortes chances d’être le cas au moins dans le court-terme. Car effectivement, l’ASN et l’IRSN ont d’ores et déjà adapté leurs pratiques historiques, pour tenir compte de l’arrivée de ces nouveaux acteurs dans l’écosystème nucléaire… depuis plusieurs mois et cela fonctionne.
Il semble bien que le gouvernement ait entendu l’adage de Michel Audiard, ‘C’est pas parce qu’on a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule’. Cela dit, enfonçons la porte ouverte : Non, nous ne considérons pas que cette fusion entrainera directement une dégradation de la sureté nucléaire. L’héritière de l’ASN et de l’IRSN bénéficiera du crédit de ses prédécesseurs, les corps de l’État continueront de l’irriguer, son indépendance sera garantie au même titre, ses décisions et instructions seront gouvernées par la même exigence de transparence. Cela dit, on peut souligner néanmoins le flou de la loi actuelle, qui laisse la déclinaison de la séparation décision/expertise très largement à un règlement intérieur qui n’est même pas encore écrit. La vigilance de l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST) en la matière a permis (formulation de recommandations sur le projet de fusion) et permettra (droit de regard sur le règlement intérieur) d’éviter trop de navigation à vue en la matière.
Toutefois, l’absence de débouchés pour les filières d’expertise, la rupture du pied d’égalité entre les 3 acteurs contribuant au dialogue de sureté (décideur, expert, exploitant), tout ceci risque de contribuer, à terme, à dévaloriser les filières d’expertise technique et de recherche publique en la matière, pourtant fondamentalement nécessaire (formation des futurs experts, progrès des connaissances en sureté, questionner les partis pris des acteurs décisionnaires et exploitants…).
Plus largement, il s’agit surtout et malheureusement d’un renoncement de la part du gouvernement à voir l’état jouer dans le secteur de l’énergie un rôle autre que celui de la carotte (les milliards de France Relance) et du bâton (l’ASN comme gendarme du nucléaire – en d’autres termes une dérive vers une approche axée sur la vérification de la conformité des projets futurs à des règles existantes plus qu’autre chose, à l’américaine). Il s’agit en fait de la transposition des modèles anglais et américains, articulés autour de l’injection d’argent dans un écosystème de start-ups, soit une vision très largement libérale et à l’opposé de celle d’un Messmer qui assumait de voir l’Etat jouer un rôle de pilote dans sa souveraineté énergétique.
Si cette vision peut avoir du sens aux États-Unis, au Royaume-Uni ou au Canada du fait de leur positionnement politique et de leur histoire, marqué par la déliquescence progressive de leur industrie nucléaire depuis les années 80, elle résonne franchement faux en France, où nous bénéficions encore des retombées de la vision planificatrice de l’état stratège des années 70. Elle s’inscrit malheureusement dans une longue séquence d’errements politiques ces deux dernières décennies, entre PPE et pas de deux.
Il s’agit surtout et malheureusement d’un renoncement de la part du gouvernement à voir l’État jouer dans le secteur de l’énergie un rôle autre que celui de la carotte et du bâton.
Plutôt que de consacrer des milliards aux start-ups et son capital politique à une fusion au mieux inopportune et au pire contre-productive car elle risque de déstabiliser et détériorer les compétences publiques en la matière (en particulier au profit d’acteurs privés qui s’en frottent les mains), le gouvernement eut été plus avisé d’appuyer et de piloter EDF et la filière existante pour la préparer aussi vite que possible aux défis qui nous attendent. Construire non seulement les 6 EPR prévus, mais aussi probablement d’autres et assurer notre souveraineté énergétique aussi solidement que ce fut fait il y a un demi-siècle.
Victor Richet
Commission Environnement-Agriculture
Crédit photo (c) VGU1980
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