TURBINES ARABELLE : UN RACHAT SOUS DÉPENDANCE AMÉRICAINE
EDF a annoncé, le 31 mai 2024, l’acquisition des activités nucléaires de General Electric (GE) dix ans après leur vente à ce géant américain, dans le cadre du rachat d’Alstom Energie. Quoique bienvenu, ce retour apparent sous contrôle français présente des menaces problématiques pour la souveraineté industrielle de la France.
Une communication savamment orchestrée
Parmi ces activités de GE, on trouve notamment la production à Belfort des turbines à vapeur Arabelle, les plus puissantes du monde, utilisées dans les centrales classiques et EPR. L’annonce a été officialisée en fanfare le 30 mai 2024 par le Président de la République.
Annoncé en février 2022, le projet aura mis deux ans à aboutir, le temps pour GE et EDF de se mettre d’accord sur les modalités de vente, en particulier du fait des contrats passés par la Russie pour l’achat de ces mêmes turbines Arabelle, remis en cause par les Etats-Unis. Mais, selon E. Macron, « ces problèmes étaient sur la table et [ils] ont été réglés » sans que ne soit toutefois précisée par l’Élysée l’issue de ces négociations.
Un retour apparent dans le giron français
Ce rachat par EDF atteste du retour dans le giron français d’un savoir-faire et d’une industrie stratégiques, utiles à l’ensemble des projets nucléaires (concernant le parc actuel comme les centrales à venir). Ce rachat constitue donc une bonne nouvelle pour la filière nucléaire hexagonale et toute l’industrie française.
Une mise sous dépendance américaine bien réelle
Cependant, plusieurs menaces pèsent sur ce rachat. D’abord parce qu’il ne concerne que l’industrie nucléaire, en laissant de côté les activités de l’ancien périmètre d’Alstom Energie liées à l’hydraulique, l’éolien, les réseaux électriques ou le gaz.
Ensuite, le passage d’Alstom Energie sous contrôle américain s’est accompagné de changements d’un ensemble de composants dans les équipements. La technologie Arabelle elle-même intègre dorénavant un contrôle-commande appartenant à GE, et donc américain : tant qu’une alternative n’aura pas été mis en place, les projets d’exportation français seront donc contraints à une validation américaine (procédure ITAR).
Enfin, la moitié des commandes de turbines émane de l’énergéticien russe Rosatom. Ce dernier est l’un des acteurs majeurs de la construction de centrales nucléaires à l’international et sous le coup de sanctions américaines et européennes. Dans le cas probable où les autorités américaines s’opposeraient à l’exportation de turbines Arabelle vers la Russie, l’usine de Belfort se verrait donc amputée de ses contrats les plus importants, alors qu’elle doit vendre au moins deux turbines par an pour être rentable.
Au-delà du rachat, des investissements doivent être lancés au plus vite pour désensibiliser les turbines Arabelle des technologies américaines et ainsi recouvrer notre souveraineté dans leur utilisation et leur commercialisation.
De désastreuses coupes dans les effectifs
Vient enfin le versant de l’emploi et des compétences. Lors de l’achat sous condition d’Alstom Energie la lettre d’engagement signée entre l’État et General Electric obligeait ce dernier à investir à Belfort, soit en recrutant significativement (1000 postes) ou par un autre moyen. Alstom Energie comptait alors 20.000 employés. Certes, pour non-respect de cet engagement, GE a dû s’acquitter en 2019 d’une amende de 50 millions d’euros (soit environ 0,07% de son chiffre d’affaires). Entre-temps, le court-termisme de la direction a créé de sérieuses difficultés financières : dix ans plus tard, le site compte moins de dix mille employés, dont beaucoup en préretraite, résultat des différents plans de sauvegarde de l’emploi et délocalisations.
Cette hémorragie a également eu un impact économique sur la zone, qui a perdu plus de 6 000 habitants ainsi que sur le tissu industriel de sous-traitance qui l’irriguait. Enfin, ces années de sous-investissement dans l’outil productif ont significativement affaibli ses capacités industrielles.
Tout cela étant dit, EDF achète ces activités… deux fois plus cher qu’elles ont été vendues.
Pour une utilisation plus ferme du décret Montebourg
L’Engagement salue ce rachat et alerte sur ces limites pour la souveraineté industrielle française. Cette affaire Alstom doit servir d’exemple aux futurs gouvernements sur les précautions à prendre lors de la cession d’une entreprise stratégique française à un investisseur étranger. Nous prônons une utilisation plus ferme par l’État du décret Montebourg sur le contrôle des investissements étrangers en France.
Commissions Énergie & Économie de L’ENGAGEMENT
Crédit photo VINCENT KESSLER / ARCHIVES REUTERS
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