Propriété Habiter
Fraternité
Une crise de l’habitat :
Au vu de son poids croissant dans le budget des ménages, et de son rôle déterminant dans l’état de santé et l’accès à l’emploi, le gouvernement qui arrivera à enrayer la crise du logement aura satisfait le principal besoin de sa population.
Depuis 2017, c’est 23% de la population qui est affectée par la crise du logement : sans logement, mal logés, sur-occupation, précarité énergétique, taux d’efforts trop élevés*. La part de propriétaires accédant se réduit, tandis que les demandes de logements sociaux n’ont jamais été aussi élevées. Il y a une déconnexion de plus en plus nette entre les prix de l’immobilier et les revenus des ménages. Les difficultés d’accès au logement des salariés freinent les capacités de recrutement des entreprises.
Le problème de l’habitat est systémique. Lorsqu’il est considéré comme un bien, s’organisant sur un marché, l’accès à la propriété se concentre sur les ménages les plus dotés en capitaux, tandis que les conditions de locations se durcissent, et la pression sur le parc social s’accentue pour loger les ménages les plus précaires**.
Dans ces conditions, il est fort probable qu’un choc d’offre ne suffise à résoudre cette crise, car l’offre produite sera captée par des multi-propriétaires dans une logique de rendement optimisé de leur investissement : mise en location touristique, location à prix élevés, revente à forte plus-value.
La question n’est donc pas tant celle du logement, que de l’habitat, c’est-à-dire l’accès à une résidence principale à un prix permettant de vivre dignement.
Un parcours résidentiel bloqué : danger.
Le logement social ne constitue plus une étape du parcours résidentiel. Les locataires restent dans le parc social faute de capacités à accéder à la propriété. Ce tarissement des sorties bloque les possibilités d’entrées, et ankylose toute la chaîne résidentielle.
Plus de la moitié des interpellations des élus par les citoyens concernent la question du logement. Au congrès des maires 2024, les édiles ont fait part de leur inquiétude face à cette crise du logement, qualifiée de bombe sociale à retardement. Sans un chez soi, c’est tous nos projets de vies qui sont reportés, sinon abandonnés. Le ressentiment envers nos institutions en sort renforcé.
Propriétaires, Habitants et Fraternels
Au-delà de la hausse des coûts de construction, l’explosion des prix du foncier complique l’équation pour produire du logement abordable. Le Bail Réel solidaire -BRS- est une solution intéressante, permettant d’accéder à la propriété pour un coût inférieur de près de 40 % à celui du marché. Pour schématiser, l’acquéreur contracte un prêt classique pour l’achat du bâtit, et rembourse le terrain sur 99 ans, ce qui permet d’en lisser le coût. Mais cet acronyme le maintien dans une approche purement technique. Nous préférons parler de propriétaires habitants fraternels.
Pour les maires, c’est la garantie que les logements produits soient occupés par des habitants à l’année, et non pour des usages de résidences secondaires, de locations touristiques, ou de locations privées à prix élevés.
C’est une solution adaptée pour répondre à leurs besoins de loger les « enfants de la commune », ces jeunes ménages qui ont grandi sur le territoire mais qui ne pouvaient plus s’y loger en raison de la hausse de l’immobilier. C’est également propice à l’installation d’une partie des salariés et agents essentiels pour le bon fonctionnement des services publics et techniques du territoire, ainsi que les salariés des entreprises qui produisent localement. Une partie de ces propriétaires habitants fraternels devraient être d’anciens locataires du parc social, pour leur permette d’accéder à la propriété et créer de la rotation dans le parc social.
Ce seront donc des propriétaires, ce qui marque leur ancrage et leur engagement au moins à moyen terme sur la commune. Plusieurs mécanismes permettent d’encadrer la revente pour éviter d’alimenter le système inflationniste. Les propriétaires sont donc fraternels, puisque l’investissement public leur ayant permis de devenir propriétaire, perdure dans le temps au fil des différentes transactions.
Pour les acquéreurs, qui n’avaient pas les moyens d’accéder à la propriété sur le marché libre, devenir propriétaire habitant fraternel leur permet d’une part de se constituer un capital, utilisable à l’avenir pour d’autres transactions, d’autre part d’acquérir un logement qui leur appartient, et dont les droits pourront être cédés à leurs enfants. Une acquisition sécurisée puisque le prix de vente est garanti. Une acquisition fraternelle, puisque leurs acheteurs bénéficieront des mêmes conditions d’accès et de sécurisation que ce qu’ils ont eux-mêmes bénéficié.
Agir en 2025
Ainsi, il est temps que l’investissement public se porte sur des modèles non spéculatifs et non inflationnistes, où chaque euro investi dans le logement, reste dans le logement : construction, rénovation, maintenance technique. Il n’y a pas de rente à rémunérer. Ce modèle nécessite des prêts à taux faibles sur le long terme, permettant de rembourser les opérations sur plusieurs dizaines d’années. La réhabilitation de l’ancien a un coût élevé. C’est pourquoi les pouvoirs publics, dont les collectivités locales, devraient pouvoir encadrer les prix, préempter le foncier ou les logements vacants à destination d’opérateurs non spéculatifs pour faire des logements sociaux et de l’accession à la propriété anti-spéculative. Comme le proposait déjà Arnaud Montebourg en 2022, sur le logement vacant et l’habitat dégradé, les préemptions par les collectivités pourraient bénéficier à des particuliers pour qu’ils rénovent et s’engagent à y établir leur résidence principale.
Plus largement, nous pensons que la reconstruction d’une politique publique de l’habitat passe par la maîtrise du foncier. En effet, au-delà de la hausse des coûts de construction, l’explosion des prix du foncier ne permet plus de sortir des opérations abordables. Cette tendance risque de s’aggraver avec la raréfaction foncière qui résultera des dispositifs de limitation de l’artificialisation des sols, qui sont nécessaires à la préservation de notre cadre de vie, de notre agriculture et de la biodiversité. Sa mise en œuvre doit sortir des logiques purement comptables du Zéro Artificialisation Nette pour aller vers une réglementation raisonnée et décentralisée. Il y a de formidables opportunités pour revaloriser nos centre-bourg, nos zones commerciales, nos friches et nos périphéries. Il convient d’accompagner ce besoin en professionnels qualifiés et revaloriser les filières de formation professionnelles. Ces optimisations, reconversions et rénovations de l’existant sont pourvoyeuses d’emplois, notamment dans le rural et le péri-urbain.
Le coût du mal logement devient insoutenable pour nos compatriotes, et se répercute sur l’ensemble de l’économie : perte de pouvoir d’achat, dégradation de l’état de santé, difficulté d’accès à l’emploi et aux formations. Nos entreprises ont besoins de salariés bien logés. Des outils existent, il faut désormais la volonté politique de les déployer.
*23e et 28e rapports sur l’état du mal logement en France.
**François Rochon, « Logement : critique d’une politique impossible », l’Aube, 2023.
Note élaborée par la Commission Aménagement et Habitat de l'Engagement
Photo de Nemours, par Olivier Carillo
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