Anduril-Rheinmetall : l’ultime renoncement stratégique
de l’Europe ?
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L’annonce de l’arrivée d’Anduril, entreprise américaine de défense fondée par Palmer Luckey et financée par la Silicon Valley, sur le sol européen en partenariat avec Rheinmetall, géant allemand de l’armement, aurait pu passer inaperçue dans un brouhaha médiatique saturé de crises. Elle devrait pourtant alerter tous ceux qui croient encore à une Europe stratégiquement autonome, souveraine, capable de défendre ses intérêts propres sur la scène mondiale.
Car cette alliance n’est pas anodine : elle scelle une avancée sans précédent de l’influence militaire américaine au cœur du complexe militaro-industriel européen, avec le consentement actif de l’Allemagne. Elle reflète un tournant grave, à l’heure où l’Europe aurait dû, plus que jamais, renforcer sa cohérence stratégique et industrielle.
L’Allemagne, fossoyeuse de la souveraineté européenne ?
Faut-il rappeler les tendances structurelles Berlin sur les grands projets européens de défense ? Le SCAF (Système de Combat Aérien du Futur), le MGCS (Main Combat Ground System), Skyshield (l’initiative allemande pour un système antimissile sur des bases industrielles israëliennes et américaines) sont autant d’exemples d’une vision allemande qui est tout sauf européenne. De son côté, la Allemagne envisage les projets de Défense Européenne comme une projection de puissance efficace et un outil de souveraineté et d’indépendance stratégique. De l’autre côté du Rhin, l’Allemagne opère non seulement en défense de son outil et des intérêts industriels, mais le fait au meilleur des cas avec une visée hégémonique au sein de l’Europe (MGCS), au pire des cas en s’associant avec des industriels extra-européens au détriment d’acteurs européens existants (système Mamba franco-italien pertinent dans Skyshield). On peut également citer le « Maritime Airborne Warfare System (MAWS) », projet de remplacement des patrouilleurs maritimes français (Atlantique 2) et allemands (P3-Orion). Le plateau franco-allemand de Thales a Velizy a fermé en 2020, l’Allemagne adaptera des A321 et l’Allemagne achètera des P8-A de Boeing pour 1,43 milliards d’euros.
À chaque étape, l’Allemagne démontre qu’elle ne peut pas être le chantre d’une Europe puissance — seulement une Europe supplétive et dépendante des États-Unis.
Des chemins de moins en moins complémentaires
De la volonté d’une trajectoire commune et croisée à l’après-guerre, les chemins de la France et de l’Allemagne n’ont de cesse de s’éloigner depuis 20 ans. En effet, les positionnements et les contraintes commerciales, géopolitiques de la France et de l'Allemagne se révèlent tout à fait divergents : l'économie allemande repose en grande partie sur ses capacités d'export de son industrie avec les Etats-Unis comme premier partenaire commercial. L'achat de matériels militaires américains constitue un laisser passer, un troc, pour leur production automobile et pharmaceutique, dont la production requiert largement l’hinterland allemand qu’est le centre-est de l’Europe (Pologne, République Tchèque, Roumanie,…). De plus, l’Allemagne, est depuis la fin de la seconde guerre mondiale un partenaire sans faille des Etats Unis avec de nombreuses bases de l’OTAN, en demande d’une défense de son territoire par les Etats-Unis en utilisant la dissuasion américaine sur son sol.
La France, avec son outremer, sa dissuasion nucléaire, une industrie moins développée et un endettement exceptionnellement élevé, tente de trouver un équilibre pour assurer sa souveraineté géostratégique sur 12 fuseaux horaires au moindre coût. Enfin, la France, de par sa tradition gaullo-mitterrandienne, a longtemps eu son regard tourné vers Berlin alors que l’Allemagne se focalise vers les Etats-Unis et la Chine afin d’assurer son excédent commercial.
Ces différents éléments expliquent le positionnement de l’Allemagne, en position de force économique mais en retard capacitaire et technologique d’un point de vue militaire, et la France en position de relative faiblesse économique et incapable de relever le défi du leadership européen sur le plan militaire.
La percée d’Anduril : un piège technologique et politique
Avec l’entrée d’Anduril dans le jeu européen, c’est une part stratégique de l’innovation militaire qui échappe à l’Europe. Cette société incarne une nouvelle génération d’acteurs américains mêlant intelligence artificielle, robotique et surveillance, avec un agenda clair : intégrer les armées européennes dans l’écosystème OTAN-US, sur fond de guerre cognitive et d’architecture interopérable... mais pilotée depuis l’Amérique.
Et c’est là que le bât blesse. Car derrière les promesses de technologies avancées se cache une dépendance accrue aux systèmes de commandement et de contrôle américains, au détriment d’une autonomie stratégique européenne réelle. Le logiciel de guerre est aussi — surtout — un logiciel politique : celui de l’alignement automatique sur les intérêts américains
Souveraineté entravée, diplomatie bâillonnée
Peut-on prétendre défendre une position européenne indépendante sur l’Ukraine, sur Gaza, ou sur l’Iran, lorsque nos capacités de renseignement, de frappe et de projection sont liées à des systèmes américains ? La réponse est non.
L’Europe ne pourra jamais parler d’une voix propre si elle pense, combat et s’arme avec les outils d’autrui.
Les États-Unis poursuivent leur agenda géopolitique — c’est leur droit. L’Europe ne doit pas pour autant devenir l’otage de ces choix, encore moins lorsque ceux-ci bloquent toute tentative d’ouverture diplomatique, toute nuance, toute alternative stratégique.
L’Allemagne, qui assume sans états d’âme sa vassalisation militaire stratégique sur les Etats-Unis, entraîne le continent sur cette pente dangereuse. L’erreur allemande ne doit pas devenir la norme européenne. Il en va de notre liberté diplomatique, de notre capacité à peser dans le monde multipolaire, de notre dignité stratégique.
Conclusion : reconstruire une ambition souveraine
Il est encore temps de refuser ce glissement. Il est encore temps de bâtir une industrie de défense européenne pilotée par les Européens, pour les Européens. Cela suppose des choix courageux, des ruptures, des décisions politiques claires. Et cela suppose que des États comme la France, conscients de l’impasse, prennent le relais du leadership stratégique que l’Allemagne veut porter dans une vision hégémonique et en partenariat renforcé avec un acteur non-européen, les Etats-Unis et surtout sans la France.
S’allier avec Anduril, c’est importer une logique d’alignement technologique qui prépare l’alignement politique. Ce n’est pas une coopération, c’est une abdication.
Nous n’avons pas besoin d’un clone de Palantir pour défendre l’Europe. Nous avons besoin d’une volonté politique farouche de souveraineté, sans quoi l’Europe ne sera bientôt plus qu’un théâtre d’opérations, jamais un acteur.
Commission Défense & Armées Engagement
Image tirée du site Meta-defense.fr
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