Un an de guerre aux frontières de l'Europe
Depuis 2014 un conflit couvait à bas bruit aux portes de l’Europe dans les régions séparatistes d’Ukraine. Les services de renseignements et les dirigeants européens n’ont pas perçu les signaux pourtant bien présents d’un embrasement imminent.
Le 24 février 2022, Le Kremlin lança son armée à la conquête de l’Ukraine justifiant par là son fantasme de réunification impériale. Vladimir Poutine a ainsi non seulement commis une faute contre le droit international, mais aussi contre l’Histoire.
Ce conflit révèle également une attitude irritante que l’OTAN a pu afficher ces dernières décennies envers la Russie. En 1989, lorsque le rideau de fer finit de tomber, l’Organisation transatlantique s’engagea envers Gorbatchev à limiter son expansion en Europe. De son côté, Vladimir Poutine avait déclaré en 2007, que le rapprochement de l’Alliance vers l’Ukraine pourrait conduire à des mesures de rétorsion envers celle-ci, considéré alors comme le pré carré russe. Nous ne pouvons pas dire que les intentions n'étaient pas annoncées. L’Europe aurait alors dû faire preuve de plus de clairvoyance dans les années précédentes en reconnaissant qu’une zone de neutralité s’imposait entre l’Europe occidentale et la Fédération de Russie.
Ensuite, rappelons-nous l’absence de réaction de la France ou des instances Européennes, lorsque la Crimée fut annexée par la Russie en 2014. Pis, Vladimir Poutine était reçu en grandes pompes au château de Versailles en mai 2017.
Mais la récente invasion de l’Ukraine est un changement radical dans la méthode, dans l’ampleur de la mobilisation des armées et dans l'intensité des combats aux frontières de la Pologne et de la Roumanie.
L’Europe qui s’est construite sur l’engagement d’une paix durable par la prospérité et le commerce après deux conflits mondiaux sur son territoire, échoue dans cette promesse et doit répondre désormais à l'accueil de millions d’exilés fuyant la guerre, et au soutien de l’Ukraine.
Mars 2023, un an après, le rêve despotique de Poutine de soumettre Kiev dans un raid éclair a fait long feu ; les combats s’enlisent sur le territoire Ukrainien dans un conflit d’attrition, triste parallèle avec les guerres d’usures de Verdun ou de la Marne.
L’armée Russe réapprend à ses dépens à quel point la puissance d’une armée d’invasion s’efface devant la résistance passionnée des peuples envahis. La Russie, tout comme les États-Unis ou l’Europe, en avaient pourtant fait l’amère expérience en Afghanistan, entre autres.
Prendre de la hauteur, et sortir du schéma bipolaire.
“Cette guerre est la promesse d’un enlisement et de souffrances inutiles pour les peuples ukrainiens et russes. Mais elle est aussi un succès indéniable dans la recomposition du monde vers l'isolement mondial des Etats-Unis et de ses alliés occidentaux.”(1) Ces propos d’Arnaud Montebourg illustrent parfaitement la situation géopolitique du conflit.
L’occident est devenu en quelques décennies une représentation du monde moderne exécrée par une partie du globe, las des discours sur un modèle de démocratie vertueux et de l’absence d’exemplarité de ses promoteurs.
Aujourd’hui nous présentons au monde une compassion opportuniste pour un conflit qui semble nous concerner davantage peut-être par la familiarité des visages des victimes, plus que ceux actuellement en cours dans le reste du monde et pour lesquels nos “valeurs occidentales” ne semblent pas faire cas. Le Yémen, pays classé par l’ONU comme pire situation humanitaire du globe, l’Éthiopie, Haïti, ou le Myanmar, en sont quelques exemples.
Nous aurions tort de penser que la Russie est isolée dans sa position, L’Inde et la Chine se sont abstenues lors du vote à l’ONU pour sanctionner l’invasion Russe. D’autres ont même voté contre, rééquilibrant une balance des forces et rejetant l'hégémonie de la vision occidentale.
L’aide humanitaire afflue en Ukraine et c’est une bonne chose. Mais nous pouvons nous interroger sur la nécessité d’alimenter le conflit et de fournir un armement dont la puissance s’amplifie. D’abord des éléments balistiques de protection, puis des armes légères, des pièces d'artillerie, des chars légers, maintenant des chars lourds et bientôt des avions de chasse. Il ne reste alors plus beaucoup d’autres barreaux à l’échelle de la destruction avant d’arriver à des solutions beaucoup plus irréversibles. On pourra par ailleurs s’interroger sur le réel désintéressement de ces donations lorsque viendra le temps du retour sur investissement dans la reconstruction de l’Ukraine.
Au début de ce conflit, certains espéraient mettre l’économie Russe à genoux par des mesures de confiscation d’avoirs, de tels discours témoignent du niveau d'ignorance de nos responsables sur les liens de dépendances entre les belligérants. C’est l’Europe qui dépend de la Russie et non l’inverse. Cette dernière à su très rapidement réorienter la fourniture de gaz initialement destiné aux pays européens vers l’Asie, renforçant par-là les rapports commerciaux sino-russe.
En contrepartie nous allons nous fournir à prix d’or en gaz de schiste américains, poursuivant notre dépendance à Washington, quoi qu’il en coûte.
Cette guerre à bien des avantages pour les Etats-Unis qui, à l'abri entre deux océans, nous laissent absorber la crise économique et humaine de ce conflit en nous fournissant à grand frais l'énergie et les armes nécessaires.
Les ficelles deviennent grosses, et ne pas les voir serait un aveu d’impuissance. En prenant de la hauteur, il est temps de dresser un constat : nous ne pouvons rester dans un schéma de monde bipolaire dans lequel s'affrontent les camps du bien et du mal. Cette guerre doit nous permettre l’émancipation de la singularité française contre des postures bellicistes dans lesquelles nous ne devons pas aller.
La diplomatie française doit s’imposer.
Il n’y a que deux solutions pour mettre fin à ce conflit : soit la soumission d’un belligérant aux conditions de l’autre, par une pression militaire ou économique étouffante, soit la voie diplomatique dans la recherche d’un cessez le feu durable.
La première ne se fera qu'à un prix humain inacceptable, mais c’est là que nous allons aujourd’hui en entretenant ce conflit. C’est dans la seconde solution que la France à un rôle à jouer. Elle est au 3eme rang des puissances diplomatiques derrière la Chine, mais devant la Russie. C’est une force non négligeable, patiemment construite au fil des siècles, et que malheureusement, notre Président s’emploie à démanteler dans son projet de réforme du corps diplomatique.
La France ne peut plus tolérer cette poursuite du conflit et doit imposer un discours pacifiste. Cette guerre n’est pas dans l'intérêt des peuples d’Europe et certainement pas de France. Nous devons saisir ce conflit comme une opportunité d’exprimer une voix différente, libre, comme nous avions su le faire en 2003 pour la guerre en Irak. “Dans ce temple des Nations Unies, nous sommes les gardiens d'un idéal, nous sommes les gardiens d'une conscience. La lourde responsabilité et l'immense honneur qui sont les nôtres doivent nous conduire à donner la priorité au désarmement dans la paix. (2)” Ce discours de Dominique de Villepin alors ministre des affaires étrangères aurait sa place aujourd’hui dans des circonstances tout à fait similaires.
C’est aussi le moment, pour les pays européens, de ne plus être des herbivores dans un monde de carnivores, et de réfléchir à des programmes de défenses communs et de s’affranchir des empires. Pour peser géopolitiquement, les pays européens doivent rester autonomes des Américains, sans rechercher automatiquement leur aide, mais en conservant nos liens amicaux, bien entendu.
Si la France prend la parole et initie une recherche de cesser le feu, nous proposons une alternative au monde bipolaire et ouvrons la possibilité d’un dialogue entre la Russie et l’Ukraine. Si elle se tait, elle laisse à d’autres, la Chine en tête, l’opportunité de s’imposer en puissance de dialogue, mais à nos dépends. C’est un moment clé, et c’est désormais la responsabilité de la France de s’imposer comme porte-parole de la paix en Europe et face au monde.
Matthieu Moulon, Référent National Défense-Armées
1. L’engagement, Arnaud Montebourg, Pluriel, 2022.
2. Discours devant l’assemblée de l’Organisation des Nations Unies, Dominique de Villepin, 14 février 2003.
Crédit Photo de Max Kukurudziak sur Unsplash
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