Non à la privatisation des barrages.
La mise en concurrence des barrages n’a toujours pas de solution.
L’hydroélectricité représente en moyenne 10 à 12% du mix et est la première source d’électricité renouvelable en France. Pourtant, la « houille blanche », et plus spécifiquement sa mise en concurrence, est la source d’une querelle de plus de vingt ans. Récemment, deux députés issus de l’ancienne législature, Marie-Noëlle Battistel (PS) et Antoine Armand (Renaissance), ont lancé une (énième) mission d'information sur le sujet afin de clore le sujet d’ici l’automne.
Repartons du début. Avec 25 GW de puissance installée, l’hydroélectricité représente en moyenne 10 à 12% du mix et est la première source d’électricité renouvelable en France. Ces installations sont aujourd’hui majoritairement opérées par EDF, pour environ 80% d’entre elles, produisant environ les deux tiers de l’électricité.
En quoi la fameuse mise en concurrence des barrages consiste-t-elle ? En 2004, la loi du 9 août relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières transformait EDF en société anonyme (détenue à 70% par l’État). En 2006, la Commission Européenne obtenait la fin du droit de préférence d’EDF. La combinaison des deux entraînait la mise en concurrence systématique dans la procédure de renouvellement des concessions hydroélectriques. Pour Bruxelles, c’est une application concrète de son idéologie de la concurrence à tout-va ; de leur côté, d’autres pays européens se réjouissaient à l’idée de voir l’ex monopole EDF perdre des barrages aussi importants et rentables.
En 2006 (…) [La transformation d’EDF en société de droit privé et la fin de son droit de préférence] entraînai[en]t la mise en concurrence systématique dans la procédure de renouvellement des concessions hydroélectriques.
En quoi est-ce un problème ? Une entreprise ou une puissance étrangère pourrait s’immiscer dans la gestion des barrages, leur maintenance, leur avenir, leur prix au kWh ; comme General Electric l’a fait avec Alstom, elle pourrait imposer des composants qui nous rendraient dépendants de l’étranger. Nous perdrions la main sur des ouvrages présentant de nombreux intérêts. Outre ce point, l’exemple anglais, marqué par les privatisations et mises en concurrence d’actifs stratégiques dans les années 80 et 90 (Rail, eau) illustre les limites de cette gestion. L’affaire Thames Water, plus spécifiquement les multiples scandales sanitaires ayant marqué la gestion des eaux de la Tamise par des acteurs privés en Angleterre ces dernières années, est l’illustration du danger que fait planer une gestion court-termiste et orientée sur la réduction des coûts pour des infrastructures relevant du bien commun.
L’exemple anglais, marqué par les privatisations et mises en concurrence d’actifs stratégiques dans les années 80 et 90 (Rail, eau) illustre les limites de cette gestion.
Car les barrages présentent :
• Un intérêt pour le réseau : les barrages produisent, consomment, ou stockent de grandes quantités d’électricité ; ils sont donc cruciaux dans l’équilibrage du réseau électrique.
• Un intérêt économique : le prix du kWh tourne autour de 30 €, un prix très bas. Ce n’est pas un hasard si les industries électro-intensives (métallurgie, papeterie, datacenters, gigafactory, etc.) fleurissent en Suède : additionné au nucléaire, l’hydraulique compte pour 75% du bouquet, maintenant le prix de l’électricité autour de 30 €/MWh durant la décennie 2010. Imbattable.
• Un intérêt climatique : les grands ouvrages hydroélectriques ont beau influencer fortement leur environnement, en aval et en amont, leurs émissions de CO2 sont à peine supérieures à celles du nucléaire et de l’éolien : 24 gCO2/kWh. Le GIEC insiste lourdement sur la nécessité de multiplier la production hydroélectrique pour limiter le réchauffement climatique.
L’hydroélectrique présente des intérêts économiques, industriels et environnementaux ; il est de plus crucial à l’équilibre du réseau.
Les différents gouvernements français ont cherché à traduire la loi par des faits, mais les tergiversations entre députés ont toujours repoussé la prise de décision. Quelques années après son arrivée au pouvoir, le Projet Hercule, révélé par Emmanuel Macron en 2020 et abandonné depuis, visait à réorganiser EDF en trois entités, dont l’une, EDF Azur, héritait uniquement des barrages, les isolant ainsi du reste. Un tel démembrement ouvrait la voie à d’autres, et la perspective d’une lente et implacable privatisation apparaissait.
Mais le temps passe et les besoins s’accumulent : de maintenance, de modernisation, d’augmentation de la capacité et de nouveaux sites. La Programmation Pluriannuelle de l'Energie (PPE) 2019-2028 vise entres autres, en France métropolitaine, à (i) augmenter le parc de l’ordre de 200 MW d'ici 2023 et de 900 à 1 200 MW d'ici 2028, ce qui devrait permettre une production supplémentaire de l’ordre de 3 à 4 TWh dont environ 60 % par l'optimisation d'aménagements existants ; (ii) optimiser la production et la flexibilité du parc hydroélectrique, notamment au-travers de suréquipements et de l’installation de centrales hydroélectriques sur des barrages existants non-équipés (écologie.gouv.fr).
Problème : un investissement d’au moins 5% de la valeur de l’ouvrage, fût-ce pour le moderniser ou augmenter sa puissance, est considéré comme une « modification substantielle » et nécessite une mise en concurrence par appel d’offres ; or, nombre de barrages requièrent justement de tels investissements. Par suite, et justement pour éviter une mise en concurrence, EDF n’effectue pas des travaux pourtant nécessaires. Le barrage de Vouglans, par exemple, livré en 1968, vieillit et est hautement surveillé : ses eaux relâchées entraîneraient une crue du Rhône de plusieurs mètres jusqu’à la Méditerranée, menaçant les populations et quatre centrales nucléaires.
L’envie de M. Armand de trouver une solution a beau, en soi, être louable, il réfléchit en macroniste : il dit vouloir absolument « trouver une solution qui soit acceptable juridiquement par l'Union européenne. » Or, l’Union Européenne n’acceptera aucune solution qui remette en cause le dogme de la libre-concurrence. Voyant la discussion rouverte, d’autres pays européens ne se priveront pas de faire pression sur elle pour obtenir des conditions encore plus contraignantes et saper EDF. M. Armand ne trouvera donc pas de solution.
L’intérêt de la France commande évidemment de moderniser et d’améliorer les ouvrages hydroélectriques, à commencer par ceux présentant des risques pour les populations. Les objectifs de la PPE doivent être tenus. Comme l’ont dit MM Bréchet, Proglio, Montebourg et d’autres durant les auditions de la commission d’enquête sur la perte de souveraineté énergétique française, la France doit s’opposer à Bruxelles au sujet des barrages, faire fi de cette absurde ouverture à la concurrence, et réaliser les investissements nécessaires. Il s’agit d’ouvrages franco-français, indispensables à notre souveraineté énergétique et créateurs d’emplois, c’est à la puissance publique d’en disposer et de les exploiter.
Alors Ministre de l'économie, Arnaud Montebourg avait d'ailleurs inscrit dans la feuille de route de son ministère en juillet 2014 (1) la nécessité de mobiliser pour la construction de nouveaux barrages l’investissement privé national et international.
La France doit s’opposer à Bruxelles au sujet des barrages, faire fi de cette absurde ouverture à la concurrence, et réaliser les investissements nécessaires.
Victor Richet
Commission Environnement
(1) Discours feuille de route du 10 juillet 2014, en pièce jointe ci-dessous
crédit photo Raphaël Biscaldi
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