La politique énergétique peut-elle s'accommoder de discours simplistes ?
Le lundi 23 juin dernier, Henri Proglio a prôné face aux journalistes de l’Ajef (Association des Journalistes Économiques et Financiers) une politique de rupture radicale, prenant le contre-pied des objectifs énergétiques fixés par le gouvernement français actuel.
Sur le fond, les grands messages de l’ex PDG d’EDF sont les suivants :
- Sortie du marché de l'électricité européen et politique d’indépendance en matière de fixation des prix de l’électricité, notamment basée sur un prix national et un prix pour l’export fixés et contrôlés par l’État français ;
- Arrêt du déploiement des énergies renouvelables (surtout éoliennes) en mentionnant une « faillite de la doctrine verte ». Plusieurs raisons sont évoquées : Elles sont trop instables pour les réseaux électriques ; Les subventions en leur faveur pèsent trop sur le prix de l’électricité.
- Renforcement de la filière nucléaire mais opposition diamétrale avec la stratégie actuelle. Il est hostile aux programme EPR2 (réacteurs « inconstructibles », « pas prêts », « trop chers », …) et privilégie une approche de moyenne puissance, autour de 1000 MWe (plus faciles à construire, moins chers, plus adaptés à l’export…). Il défend également une prolongation autant que possible de la durée de vie des réacteurs du parc actuel de 20 ans.
Certains grands messages sont en ligne avec le programme proposé par l’Engagement pour les domaines de l’Energie, en particulier pour ce qui concerne :
- La relance de la filière nucléaire et la nécessité d’y faire appel pour garantir une énergie fiable et accessible pour les particuliers et industriels dans les prochaines décennies ;
- La nécessité de repenser les structures des marchés de l’électricité (et plus largement de l’énergie) en Europe ;
- Les missions de service public auxquelles devrait davantage se soumettre EDF, quand bien même cela pourrait se traduire par la perte d’une partie de ses bénéfices.
Cependant, l’Engagement souhaite rappeler certaines divergences de fond avec les messages évoqués par H. Proglio. Sans renier l’importance de la souveraineté énergétique française, il est bon de rappeler que le financement d’infrastructures capitalistiques tels que des réacteurs nucléaires nécessitent une réflexion à l’échelle européenne et non uniquement française, sans quoi le déploiement d’un parc complet risque d’être rapidement limité par leurs modalités de financement (entre autres) ;
Quand bien même le service rendu par les ENR est intrinsèquement limité pour leur caractère intermittent, elles n’en restent pas moins nécessaires pour le mix énergétique français.
- D’une part, l’augmentation de la consommation électrique ne pourra être satisfaite à elle seule par le parc nucléaire du fait des besoins d’électrification massifs à venir.
- D’autre part, la temporalité de la construction de nouveaux réacteurs nécessite de mettre en place une solution décarbonée à plus court terme pour atteindre les objectifs climatiques fixés dans la SNBC, les ENR pouvant répondre à ce besoin.
- Enfin, la structure du réseau électrique français est aujourd’hui en mesure d’accommoder les intermittences de production d’ENR avec suffisamment de marges pour envisager de nouvelles capacités installées. Le modèle de financement des ENR reste néanmoins à retravailler pour s’affranchir des dépendances internationales qui minent le secteur actuellement (vis-à-vis de la Chine notamment).
Sur le programme nucléaire, le discours d’Henri Proglio est technologiquement sensé, mais partiel, partial et populiste.
- Il feint d’ignorer que la prolongation de la durée de vie des réacteurs du parc est d’ores et déjà à l’étude ;
- Parallèlement, le programme EPR montre en effet des déboires (financiers et technologiques) qui auraient certainement pu être évités par une meilleure gestion du projet il y a quelques années de ça. Pour autant, ce retour d’expérience négatif a été pris en compte dans la genèse du programme EPR2. Le rapport Foltz remis au président directeur général d’EDF en 2019 aborde spécifiquement cette question. De surcroît, ce programme est aujourd’hui certainement trop engagé pour être remis en question et doit rester aujourd’hui la pierre angulaire de la relance nucléaire française, sans quoi de nouveaux retards et de nouvelles pertes financières seraient à déplorer. Repartir de zéro avec un nouveau programme de réacteurs électronucléaires, à l’architecture générale sensiblement différente de celle des EPR2, impliquerait un retard immédiat d’une dizaine d’années pour leur démarrage.
Enfin, sur le marché de l’électricité, le message trivial d’une sortie du marché européen semble simpliste, il faudrait plutôt raisonner sur une refonte des modèles économiques actuels, sans partir tête baissée sur le postulat d’un retrait du marché européen.
Mais c’est surtout sur la forme que l’intervention d’Henri Proglio interpelle. Le ton est très critique, voire polémique, à l’égard des décisions gouvernementales et de ses successeurs à la tête d’EDF. Il en devient caricatural et construit autour de positions relativement simplistes, ce qui limite la portée de l’argumentaire qui pourrait être pertinent sur certains points. Enfin, la sémantique utilisée est généralement proche des discours RN, notamment lorsqu’il parle d’une offensive souverainiste, et peut sous-entendre en filigrane un portage davantage politique que visant l’intérêt général.
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